Les cordonniers du bois

1/ Les sabotiers
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3/ Les cordonniers du bois
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Sabot "guêtre"

On ne saurait trouver meilleure illustration d'une telle appellation que ce "sabot-chaussure" fantaisie à effet de guêtre qui, sous un pantalon du dimanche, aurait pu être un trompe-l'œil quasi-parfait.
(Une réalisation de René Olivier (1839-1936), dit "Tourangeau le Courageux", exposée au Musée du Compagnonnage à Tours).

On retrouve ainsi réunis, autour des forêts des cantons de Landivy, Ernée ou Mayenne, les Lagoutte avec les Huard, Cosme, Herpin, Goyet, Langlois, Trollé, Bouville, Roynel, Fauvel, Le Loup, et autres Le Duc, sans oublier nos sosa 714 et 715, Harmel PIEDNOIR , charbonnier, sabotier vers 1660 qui avait épousé Marguerite LEBLANC (cela ne s'invente pas...), tous alliés par mariages, parrainages ou cousinages.
La limite du département étant toute proche, la grande forêt de Fougères les accueillait souvent.


Loge en Ille et Vilaine


Et là, vivait encore il y a peu, le dernier sabotier de la grande famille des Chéenne, si souvent alliée aux Lagoutte.

Alors, si vous passez par Fougères, à l'orée du bois à droite de la route, au lieu-dit "La Verrerie", vous pourrez peut-être encore voir une petite maison basse sur laquelle sont clouées des paires de sabots peints.
C'est là que demeurait le dernier représentant de son clan, deux d'entre eux furent "Meilleur Ouvrier de France" il y a quelques années.

L'abbé Angot, dans son Dictionnaire Historique de la Mayenne, rapporte que dans la moitié du XVIème siècle, à l'autre bout du département, la forêt de Bouère fut vendue à la marine et que "des bûcherons du Lyonnais vinrent s'établir dans les coupes pour exploiter sur place ce qui ne convenait pas aux constructions navales. Ils formaient une population à part, peu sympathique aux habitants du pays ".
Ils n'avaient donc pas très bonne réputation ! Il fallut plusieurs dizaines d'années à ces "étrangers" pour être finalement acceptés.
Certains d'entre eux arrivèrent-ils jusqu'à nos cantons ? L'origine du nom Lagoutte pourrait le laisser supposer.

Par la suite, Mayennais d'origine ou pas, l'histoire dit qu'ils ne craignaient pas les très longues journées de travail, mais aussi qu'ils étaient de joyeux drilles, aimant faire la fête, parfois bien arrosée.
Ils jouaient souvent de quelques instruments, pour faire danser filles et garçons des villages voisins, dans les clairières les soirs d'été.


Fougères. loges de sabotiers : la fumée sort par le toit ( les sabots sèchent à l'intérieur )
(Carte postale : collection privée, M. et Mme Gernot MUELLER)

Quant aux enfants, s'ils ne fréquentaient guère l'école, ils savaient souvent reconnaître les étoiles ; les fleurs et animaux des bois leur étaient familiers. Mais il ne faut pas s'étonner que les sabotiers, jusqu'au XIXe siècle, aient rarement signé les actes d'état civil.

Une exceptionnelle réalisation



Ces sabots unis par la pointe et formant un seul bloc, sabots enchaînés, ont été tirés d'un fût de noyer de 2,50 m de long. Terminé en 1937, ce célèbre chef-d'œuvre exposé au Musée du Compagnonnage à Tours a demandé
1200 heures de travail à Marcellin Gautier, dit "Rennois l'Amour du Travail", et Meilleur Ouvrier de France en 1933.


En étudiant de près le décor, on pourra noter de nombreuses sculptures symboliques (toutes prises dans la masse) "bonne foi", cœurs, canne, grappes de raisin, ruche, croissant, étoile (souvenir d'un "poilu d'Orient"), et les armes de Châtillon-sur-Indre où M. Gautier s'était établi en 1919.

Le métier ne leur apportait que peu d'argent, mais de la considération, souvent. Dans les villages, c'étaient des "personnages".
Le déchiffrage des actes notariés nous a appris que certains étaient marchands sabotiers ou boîstiers, ou boischeux (anciennes dénominations).
Ils achetaient alors leurs arbres sur pied, fabriquaient en famille, et dans le même temps achetaient aussi la production de leurs "cousins". Ils revendaient le tout en gros, et par "grosses".

Extrait d'acte notarié, époque Louis XV, établi à Saint-Mars-sur-la-Futaie (en date du 14 février 1723),

" Le marché à vente de sabots, à savoir, vendu le nombre de cinq grosses de sabots assortis de grandeurs, bons et valables, loyaux et marchands. Chaque grosse étant composée de 160 "père" (sic) grands et petits et ajouter de grandeurs comme dit et comme on a coutume de les livrer et débiter [...] ."

Traditionnellement, du fait de leur mode de vie semi-itinérant, leur mobilier était facilement transportable, donc pas d'armoires normandes ou autres ! Cet inventaire après décès le montre bien.

"... Ce 10e jour de Novembre 1750, inventaire des meubles dépendant de la communauté acquise entre les défunts Guillaume Lagoutte vivant sabotier et Françoise Rousseau sa femme, par nous André Beauvais notaire royal à  Larchamps, à la requête de Pierre Lagoutte marchand aussi sabotier demeurant dans le bois de Monflaux à Saint-Denis-de-Gastines, curateur général et Julien Lagoutte aussi marchand sabotier demeurant dans une loge près de la Brière Marion à Larchamps, autre curateur des sept enfants mineurs.
Nous nous sommes transportés jusque dans la loge où les dits défunts sont décédés.

Inventaire: quatre coffres fermants à clef, trois en chesne et un en noyer, un mauvais charlit, une huge mei en bois de chesne, trois selles de foyer, une mauvaise chaise de paille, deux rouets à filer, quatorze livres de chanvre, divers articles de vaisselle et de cuisine, dont trois plats, quatre assiettes, neuf écuelles, un pot, le tout en étain, un réchaud d'ayrain, deux poêles et un chaudron aussi d'ayrain, deux éguières en feuillance (sic), un chandelier en potin, un petit miroir, un fas à pain (?), deux boissures et un traversin garni de plumes [...], seize coiffes et un mouchoir, trois paniers à linge, cinq mauvais linceuls de grosse toile, quatre couvertures de fil, un fusil, trois haches, deux sis à travers, deux coins de fer, deux paroirs, une chèvre, un marteau de fer, quelques pièces de ferrements pour creuser les sabots [...]. Dans un des coffres fut trouvé la somme de deux cent vingt huit livres, tout en escus de six livres, laquelle somme les curateurs sont chargés pour en tenir compte aux dits mineurs [...]"

Ce couple, Guillaume LAGOUTTE né vers 1703, et Françoise ROUSSEAU née vers 1715, se marient en 1735. De cette quinzaine d'années de vie commune, naquirent quatorze enfants. Quatre sont morts en bas âge et cinq au moins ont fondé une famille de sabotiers.
Le couple décédera à Larchamps, Françoise le 24 septembre 1750 à l'âge de 35 ans, puis une quarantaine de jours plus tard, Guillaume le 3 novembre 1750 à 47 ans.

Suite : les familles de sabotiers

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© Simone Lagoutte 2004/2014
Mise à jour du samedi 11 janvier, 2014